Maman

Maman,
j’aimerais te dire que la terre a cessé de tourner, 
que le temps s’est arrêté, quand ton cœur a lâché.
Mon monde s’est écroulé mais la vie, elle, a bien continué. 
Parfois, elle semble même s’être accélérée, 
m’éloignant chaque jour un peu plus de ce que l’on a été.

Maman,
déjà deux ans que tu n’es plus là.
Mais hier pourrait tout aussi bien être aujourd’hui 
et aujourd’hui pourrait tout aussi bien être demain,
comme un sentiment de déjà vu
ou un cauchemar qui n’en finit pas.
J’apprends chaque jour à vivre sans toi,
à naviguer parmi les souvenirs et les conversations à sens unique.

Maman, 
mon cœur bat au rythme des vagues,
non loin des eaux où tu es née.
Je te vois là où le soleil chatouille la mer,
une lumière qui me guide 
tandis que je poursuis mes rêves d’enfant 
de l’autre côté.

*

J’ignore si le confinement perturbe le sommeil de manière générale, ou si je suis la seule à faire nombreux rêves et cauchemars étranges, à me réveiller plusieurs fois pendant la nuit au point de me demander au petit matin si j’ai vraiment dormi tellement la fatigue se fait ressentir.

Quoi qu’il en soit, je rêve beaucoup de maman dernièrement. Certains songes ne sont pas très agréables; je dirais même que les flashbacks sont tout aussi terrifiants qu’au premier jour. Je ne saurais dire si le temps guérit les blessures — il semblerait que maman me manque davantage au fur et à mesure. Elle me manque à mesure que ma vie d’adulte prend forme, tous ces moments que je ne peux partager avec elle de vive voix. Tous ces sentiments que je ne peux lui raconter, toutes ces aventures que je vis sans elle à mes côtés. En revanche, je n’imaginais pas une seule seconde que le temps passerait si vite. C’est tellement compliqué à expliquer… je ferme les yeux, et je me remémore parfaitement nos balades, nos fous rires ou nos après-midis passées dans un silence confortable, chacune plongée dans nos activités respectives. Ces souvenirs ont un goût d’hier, alors qu’ils datent déjà d’une toute autre vie, dont la page s’est tournée il y a bien longtemps maintenant.

Les semaines passent et, dans deux mois, il sera déjà l’heure du troisième anniversaire de sa mort. Anniversaire… un mot inapproprié qui me rend plus amère encore sur le sujet. Mais chaque année, à cette date, je refuse de laisser la mort gagner alors qu’elle gagne déjà si souvent. Le chagrin et le manque, j’en fais l’expérience au quotidien. Anxieuse et dépressive de nature, j’ai d’autant plus de difficulté à ne pas me laisser noyer dans les peines. Au lieu de me concentrer sur le positif, je me focalise habituellement sur ce que je n’ai pas ou ce que je n’ai plus. Mais, pour ce qui est du 22 juin, alors que cette date résonne en moi comme le son du glas, je n’aspire qu’à célébrer la vie en hommage à ma mère, qui a perdu la sienne bien trop tôt.

La première année, j’ai donc passé la journée en belle compagnie dans un de mes paradis sur terre, à savoir Brighton — journée pendant laquelle j’ai concocté une vidéo poème en son honneur pour l’année suivante, même si ce n’était pas tout à fait planifié à l’avance, je l’admets. Le problème, c’est que j’ignore quoi faire cette année. J’avais l’espoir de m’être suffisamment améliorée au ukulele d’ici là pour composer un morceau facile à partir de paroles que j’ai écrites il y a un moment déjà. Seulement, je n’ai pas été aussi assidue que j’aurais dû l’être et, du coup, c’est une idée qui tombe à l’eau — en tout cas pour 2020. De plus, je suis invitée au mariage d’une cousine le weekend du 20 juin, ce qui me fait évidemment très plaisir, mais je ne souhaite pas être en famille ou en France le lundi qui suit (le 22 juin, donc). Malheureusement, je n’arrive pas à me projeter en cette période de pandémie et de confinement. Et, comme d’habitude lorsque je rencontre un obstacle qui me paralyse, je finis par ignorer le problème complètement et ne fais rien pour trouver une solution.

J’ai conscience que préparer quelque chose pour faire honneur à maman ce jour-là n’est pas une obligation. Et si je ne peux rien prévoir de particulier pour rendre cette journée plus douce, ce n’est pas la fin du monde. Mais, tout de même, l’idée me taraude. J’en viens à me demander si les rêves et les flashbacks qui hantent à nouveau mes nuits depuis quelques semaines ne sont pas des signes de la culpabilité que je ressens malgré moi. Le deuil n’a pas de mode d’emploi, et fait rarement sens — ni pour soi, ni pour les autres. Chacun l’apprivoise à sa manière et j’essaie de ne pas être trop dure avec moi-même tandis que je m’adapte à une vie sans elle.

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